La recentralisation n'est pas la solution

La recentralisation n’est pas la solution

La première année du quinquennat a été inquiétante pour l’avenir des relations entre Etat et collectivités territoriales. Alors que les trois dernières années avaient été marquées par une baisse importante de leurs ressources et des réformes institutionnelles incessantes, les perspectives ne sont guère meilleures sous la nouvelle mandature. Fait inédit, les trois principales associations d’élus (Association des Maires de France, Association des Régions de France, Association des Départements de France) ont aujourd’hui décidé de boycotter la conférence nationale des territoires, alors que siègent à leur tête des élus qualifiés de « Macron-compatibles » dans les premiers mois du quinquennat. De peur sûrement que ce raout ne soit qu’un exercice de communication de plus, sans réelles avancées pour améliorer la gouvernance des territoires.

Le gouvernement a raté la voie de la confiance avec les collectivités. Dédaignant les politiques publiques qu’elles conduisent, méprisant le rôle désintéressé des élus qui sont, pour leur grande majorité, bénévoles ou peu rémunérés, et contournant leur légitimité électorale, le gouvernement ne semble considérer les collectivités territoriales que comme un centre de coûts, voire comme une variable d’ajustement de ses objectifs quinquennaux.

 

L’Etat n’a pas le monopole de l’intérêt général. Il est lui-même l’un des principaux moteurs de la dépense locale.

Pourtant, les collectivités mériteraient un autre sort. L’Etat n’a pas le monopole de l’intérêt général. Il est lui-même l’un des principaux moteurs de la dépense locale par le poids des charges qu’il transfère, ou qu’il engendre automatiquement en raison des décisions qu’il prend seul, comme l’augmentation des allocations individuelles de solidarité ou les nouvelles contraintes réglementaires qu’il fait peser sur la fonction publique.

Ignorées par un Etat qui raisonne bien trop souvent à courte vue, les collectivités sont pourtant capables d’incarner, elles aussi, l’intérêt général. Depuis plusieurs années, elles ont réalisé un effort important sur leurs dépenses et sur leur gestion. Elles doivent naturellement le poursuivre, mais il serait logique que cet effort s’applique à tous, Etat compris…

 

Quand 65% des Français se défient des institutions et de leurs responsables politiques, 67% apprécient leur maire.

De plus, les collectivités jouent un rôle civique fondamental : la commune reste l’unité institutionnelle de référence, condition du sentiment d’appartenance pour les citoyens, de la responsabilité pour les élus, et de la stabilité pour tous. En témoignent les taux de confiance inégalés de la population à l’égard de cet échelon local, jamais démentis dans les sondages annuels du Cevipof. Quand 65% des Français se défient des institutions et de leurs responsables politiques, 67% apprécient leur maire. La suppression de la taxe d’habitation illustre dramatiquement cette incompréhension. Ella va casser un peu plus le lien entre les citoyens et leurs collectivités. L’autonomie fiscale de ces collectivités est pourtant le meilleur moyen d’accroître leur responsabilité devant le peuple, car les citoyens constatent très directement les conséquences de la gestion municipale sur leur feuille d’impôt.

 

« La centralisation, c’est l’apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités »

Il est de l’intérêt de tous que des collectivités dynamiques développent l’environnement dans lequel notre pays pourra prospérer. Ce sont elles qui permettront aux Français de reprendre conscience de leurs devoirs de citoyens, de leur intégration au sein d’une communauté politique. Pour ce faire, les collectivités doivent disposer des moyens pour mener les politiques publiques ancrées dans les territoires, qui, si elles sont décidées au plus proche des citoyens, suscitent une large adhésion. Il est urgent d’entendre la voix des territoires, avant que la froideur administrative n’écrase tout sur son passage, ne laissant aux élus locaux qu’un rôle de représentation sans aucun levier pour améliorer le sort de leurs concitoyens. Ils ont raison de refuser le sort de simples marionnettes du pouvoir central. N’oublions pas le mot de Lammenais : « la centralisation, c’est l’apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités. »

 

Thibault Hennion

Olivier Bouet

François-Xavier Bellamy

Maxime Morand

« Dose de proportionnelle » : remède ou poison pour la démocratie ?

La réforme institutionnelle qui sera examinée à l’automne au Parlement prévoit ce qu’on appelle pudiquement « l’injection » d’une « dose » de proportionnelle dans l’élection de 61 députés parmi les 404 que l’assemblée nationale comptera alors (contre 577 aujourd’hui). Le vocabulaire médical pourrait laisser croire que le gouvernement prescrit cette modification du mode de scrutin actuel pour mieux soigner une démocratie moribonde. L’idée serait de garantir un surcroît de représentation aux partis qui réalisent des scores nationaux significatifs en termes de proportion des votes, sans toutefois obtenir de sièges du fait du mode de scrutin majoritaire actuellement en vigueur.

Mais le traitement proposé sera, soit inefficace, soit fatal. Il risque en effet de provoquer une overdose pour la stabilité de nos institutions, pour trois raisons.

 

La proportionnelle encourage le morcellement en groupements obnubilés par leur jeu de négociations politiciennes

Premièrement, la proportionnelle encourage le morcellement du Parlement en groupements politiques obnubilés par leur propre jeu de négociations politiciennes permanentes. Cette instabilité parlementaire entraîne une forte instabilité pour le gouvernement, susceptible d’être révoqué par de simples changements d’alliances. Rien ne sert de « benchmarker » longuement pour montrer que ce type de système crée partout de l’instabilité. En Espagne, la majorité a basculé à gauche début juin en raison du retournement d’alliance du modeste « Parti national basque ». Même l’Allemagne, réputée très disciplinée, découvre les limites de ce système face à une crise politique majeure depuis que des voix s’élèvent contre la politique d’immigration d’Angela Merkel. Notre propre expérience de la proportionnelle n’est pas pour nous rassurer : son utilisation sous la IVème République avec ses 17 présidents de conseil constituant 24 ministères en 12 ans devrait servir de repoussoir pour l’éternité. A l’inverse, le Royaume-Uni prône un scrutin bien plus majoritaire qu’en France, et sa démocratie ne s’en porte pas tellement plus mal. La proportionnelle en France conduira donc mécaniquement à l’affaiblissement du pouvoir législatif. Elle incarne une vision fausse de la représentation, selon laquelle cette dernière n’aurait pour seule fin que de reproduire une image exacte de l’opinion politique à la date de l’élection, alors qu’elle doit surtout assurer la gouvernabilité des institutions par le peuple représenté au sein d’une majorité stable.

 

La proportionnelle parachèvera le mouvement continu de professionnalisation de la vie publique

Deuxièmement, le projet de loi prévoit que la proportionnelle ne sera le mode de scrutin que pour 15% des sièges disponibles à l’assemblée. Cela signifie que certains députés seront élus sur la base de l’ancien mode de scrutin majoritaire, tandis que d’autres seront élus avec la nouvelle méthode. On aboutit à une démocratie à deux vitesses : l’une rendue légitime par le terrain, mais limitée par la taille des circonscriptions ; l’autre qui favorise l’entregent au détriment de l’engagement auprès des Français, mais qui sera sans doute plus visible dès lors que le député aura été élu sur une liste nationale. Pour faire simple, les parlementaires les plus enracinés seront fragilisés, et les appareils politiques retrouveront leur toute-puissance. Loin d’entraîner un renouvellement politique, la proportionnelle parachèvera le mouvement continu de professionnalisation de la vie publique : les parlementaires élus à la proportionnelle seront choisis, non pas tant par le terrain, mais par leurs partis ; et l’on y retrouvera, comme aux élections européennes, tous les notables écartés par les électeurs, qui poursuivront leur carrière à condition d’être en haut d’une liste… La proportionnelle fera ainsi figure d’assurance-tout risque pour les professionnels des partis. Pour un « start-up président » qui proclame l’abandon des clivages et la fin de l’ancienne politique, c’est un peu décalé.

 

La proportionnelle sanctionne finalement la déconnexion du député, représentant le peuple, d’avec les territoires

Ainsi, la proportionnelle sanctionne finalement la déconnexion du député, représentant le peuple, d’avec les territoires. Plus besoin d’ancrage territorial, de connaître les politiques publiques au plus près des citoyens, d’entendre leurs préoccupations. Il suffit d’être quelqu’un d’important dans un parti connu, et de maîtriser les rouages de la politique parisienne. Avec le mécanisme de listes nationales, ce sont des partis, et non plus le peuple, qui seront représentés à l’Assemblée. L’électeur sera contraint de se prononcer pour des candidats lointains choisis par des états-majors qui échappent à son contrôle. En cela, la dose de proportionnelle à l’Assemblée participe du même principe que le projet d’élection d’une part des députés européens sur des listes transnationales, heureusement rejeté par le Parlement européen et censuré par le Conseil constitutionnel.

Parce que cette réforme se combine avec la réduction du nombre de circonscriptions qui amplifiera la prime majoritaire, les résultats de cette réforme décevront : une « dose de proportionnelle » ne peut être qu’un artifice. Mais un artifice dangereux, car il nous fait entrer dans la logique que nous venons de décrire… Il ne manquera pas alors de voix pour demander une généralisation de ce mode de scrutin. De cosmétique, la dose deviendrait alors mortelle.

 

La plus grande injustice institutionnelle, c’est l’instabilité.

Le philosophe Alain, pourtant initialement favorable à la proportionnelle, reconnaissait que « partout où on l’a essayée, elle a produit des effets imprévus et tout à fait funestes par la formation d’une poussière de partis dont chacun est sans force pour gouverner mais très puissant pour empêcher ». Les exemples de nos voisins proches nous rappellent cette leçon simple : la plus grande injustice institutionnelle, c’est l’instabilité. Revenir sur cette règle d’or est un caprice d’enfant gâté par soixante-dix ans de démocratie moderne et efficace, qui voudrait se donner le frisson d’un saut dans l’inconnu.

 

Alban Mistral & PFS