Chronique de nos campagnes
Comment « Servir » au plus proche de chez soi ? Comment s’intéresser à la chose publique ? Comment contribuer au débat d’idées sans s’enfermer dans sa tour d’ivoire, sans manier chiffres et rapports ? C’est en nous racontant votre quotidien. L’approche de la réalité de la politique par le récit anecdotique, c’est ce que Christophe, agriculteur en Lot-et-Garonne, nous propose aujourd’hui.
« Je vais vous raconter une anecdote totalement authentique, bien que je reste persuadé que vous ne la croirez pas, tant elle dépasse les exagérations « pagnolesques » ou les histoires les plus farfelues qui fourmillent dans nos campagnes mais qui contribuent largement à égayer et alimenter notre finesse civilisatrice.
Mais avant de vous conter l’anecdote, je vous demande d’installer votre ordinateur par terre, et de vous coucher devant lui. Ainsi vous ne tomberez pas de haut tant l’histoire dépasse largement l’imagination la plus fertile.
Nous sommes après Maastricht, la PAC (politique agricole commune) a été révisée pour nous imposer (nous, les paysans) de mettre en jachère chaque année 10% de nos terres cultivables. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est qu’une jachère est une zone rigoureusement interdite, c’est-à-dire qu’à part l’obligation de la faucher en des temps impartis (lesquels temps sont totalement absurdes, puisqu’ils sont suffisamment tardifs pour que toutes les mauvaises herbes aient le temps de grainer et d’inonder toutes les terres cultivées environnantes), vous ne devez en aucun cas passer sur votre jachère, en tout cas, ne pas laisser de traces visibles de passages répétés de votre tracteur ou de votre voiture, sinon amende. Bref, vous avez tout juste le droit de regarder votre jachère pousser allègrement, elle qui ne vous rapporte rien si ce n’est des soucis quand les années suivantes, vous décidez de la détruire pour la mettre ailleurs.
Voilà donc l’histoire (êtes vous bien allongé par terre avec votre ordi ?)
Elle concerne un ami de longue date qui habite à quelques 20 km de chez moi. Il est céréalier et éleveur de blondes d’Aquitaine (ce sont des vaches, je le précise pour qu’il n’y ait aucun quiproquo). Comme tout éleveur, il a donc des prairies (c’est normal d’en avoir pour nourrir ses blondes, toujours les vaches).
Compte tenu de nos obligations de jachère imposée, il décide d’isoler une partie sur sa grande prairie et de la mettre en jachère. Comme c’est une zone rigoureusement interdite, ses fameuses blondes n’ont pas le droit de pâturer cette satanée jachère : il l’isole donc avec une clôture électrique.
Tous les jours, il va voir ses vaches, le matin vers 7h30, comme le soir vers 21h.
L’homme (mon ami) est quelque peu scrupuleux et sans doute trop honnête, voici pourquoi : un matin, catastrophe, ses blondes (au demeurant belles et bien en chair) avaient eu l’outrecuidance de casser la clôture électrique pour pâturer la fameuse zone interdite : la fichue jachère. Entre parenthèses, l’attitude de ces révolutionnaires de vaches qui n’obéissent pas aux directives bien pensées et intelligentes paraît bien logique malgré le regard bovin qui leur est en principe coutumier : il est somme toute normal que les vaches reluquent avec envie une prairie (« jachérisée ») toute neuve et abondante quand celle dans laquelle elles sont restées un certain temps est, à l’inverse, tondue comme une pelouse de stade olympique.
Bref, mon ami scrupuleux décide par honnêteté de prévenir la DDA (Direction Départementale de l’Agriculture), devenue depuis la DDT, du forfait inqualifiable de ses blondes. On lui répond qu’on lui enverra un contrôleur pour vérifier le « crime » abominablement bovin.
Le lendemain, efficacité administrative oblige, le contrôleur était sur les lieux du forfait. Bien entendu, mon ami avait préalablement remis toutes ses blondes dans le droit chemin, c’est à dire dans la prairie non « jachérisée ».
Dialogue du troisième type (accrochez-vous) :
Le contrôleur : « Bonjour Monsieur, on m’a prévenu que vos vaches sont passées dans la jachère. Combien de temps estimez-vous qu’elles y sont restées ? »
L’ami : « Ben, voyons, hier elles étaient dans la partie prairie à 9h (du soir), et le lendemain à 7h30, je les ai vues dans la jachère, donc au maximum, elles y sont restées une dizaine d’heures. »
Le contrôleur : « je vais vérifier. »
L’ami (quelque peu interloqué, on le serait à moins) : « comment ça, vous allez vérifier ? »
Le contrôleur (sortant de son petit attaché-case un formulaire administratif qui lui indique la fréquence journalière des « soulagements » des vaches) : « j’ai un document statistique sur la fréquence de bouses que les vaches sont censées produire par jour, il me suffit de connaître le nombre de vaches de votre troupeau. »
L’ami : « quoi, vous allez compter les bouses de vache dans la jachère ? »
Le contrôleur : « oui Monsieur, il suffit de faire une règle de 3, en connaissant le nombre de vaches et le nombre de bouses, je détermine à peu de choses près le temps qu’elles sont restées dans votre partie en jachère. »
L’ami : gloups (dans sa bulle : quel abruti j’ai été, mais c’est pas possible, je rêve), « bon ben allez-y. »
Le contrôleur : (après avoir compté toutes les bouses de la jachère qu’il divise par le nombre de vaches, et connaissant la fréquence journalière, en déduit) : « oui en effet, d’après mes calculs, vos vaches ont pâturé la jachère environ 9h, elles ont dû donc casser votre clôture vers 22h 30. »
Histoire tristement risible, mais elle mesure la déconnexion totale d’une réglementation uniforme, qui, incitant à l’hyperproduction intensive dans toutes les filières agricoles, en vient à pallier les effets pervers de cette frénésie productive par des obligations administratives aussi peu adaptées aux réalités du terrain.
A la prochaine rigolade « PACquienne » si le cœur vous en dit ! »
Christophe, agriculteur en Lot-et-Garonne
Dans le courant du prochain mois, nous publierons quatre séries de notes tentant de dessiner notre vision politique de l’écologie, émanant de nos adhérents, simples citoyens, professionnels des secteurs d’activité concernés ou bénévoles engagés dans des actions au service de l’environnement.
La première série introduit notre approche générale de l’écologie – ce que l’on pourrait appeler notre « vision » du sujet. Les textes sont à retrouver ici :
Edito : l’écologie est notre affaire.
L’écologie est la première des politiques.
La deuxième série s’attachera au thème de l’agriculture et de l’agroalimentaire : elle prônera de retrouver une agriculture qui soit « à hauteur d’hommes ». Les textes sont à retrouver ici:
Pour une agriculture à hauteur d’homme
Chronique de nos campagnes
La troisième série touchera à l’énergie, à ses enjeux et aux futurs développements des défis qui s’y rapportent. Les textes sont à retrouver ici:
Energie: panorama des enjeux écologiques
Energie solaire : se réapproprier l’écologie
Enfin, la dernière série aura trait à l’économie circulaire et à nos comportements en termes de consommation.
Nous espérons qu’en balayant ainsi largement ce sujet essentiel, nous puissions susciter autour de vous réflexions et… actions !