Réflexions sur les 5 thèmes identifiés: transmission, solidarités locales, écologie, liberté, souveraineté.

Chronique de nos campagnes

Comment « Servir » au plus proche de chez soi ? Comment s’intéresser à la chose publique ? Comment contribuer au débat d’idées sans s’enfermer dans sa tour d’ivoire, sans manier chiffres et rapports ? C’est en nous racontant votre quotidien. L’approche de la réalité de la politique par le récit anecdotique, c’est ce que Christophe, agriculteur en Lot-et-Garonne, nous propose aujourd’hui.

« Je vais vous raconter une anecdote totalement authentique, bien que je reste persuadé que vous ne la croirez pas, tant elle dépasse les exagérations « pagnolesques » ou les histoires les plus farfelues qui fourmillent dans nos campagnes mais qui contribuent largement à égayer et alimenter notre finesse civilisatrice.

Mais avant de vous conter l’anecdote, je vous demande d’installer votre ordinateur par terre, et de vous coucher devant lui. Ainsi vous ne tomberez pas de haut tant l’histoire dépasse largement l’imagination la plus fertile.

Nous sommes après Maastricht, la PAC (politique agricole commune) a été révisée pour nous imposer (nous, les paysans) de mettre en jachère chaque année 10% de nos terres cultivables. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est qu’une jachère est une zone rigoureusement interdite, c’est-à-dire qu’à part l’obligation de la faucher en des temps impartis (lesquels temps sont totalement absurdes, puisqu’ils sont suffisamment tardifs pour que toutes les mauvaises herbes aient le temps de grainer et d’inonder toutes les terres cultivées environnantes), vous ne devez en aucun cas passer sur votre jachère, en tout cas, ne pas laisser de traces visibles de passages répétés de votre tracteur ou de votre voiture, sinon amende. Bref, vous avez tout juste le droit de regarder votre jachère pousser allègrement, elle qui ne vous rapporte rien si ce n’est des soucis quand les années suivantes, vous décidez de la détruire pour la mettre ailleurs.

Voilà donc l’histoire (êtes vous bien allongé par terre avec votre ordi ?)

Elle concerne un ami de longue date qui habite à quelques 20 km de chez moi. Il est céréalier et éleveur de blondes d’Aquitaine (ce sont des vaches, je le précise pour qu’il n’y ait aucun quiproquo). Comme tout éleveur, il a donc des prairies (c’est normal d’en avoir pour nourrir ses blondes, toujours les vaches). 

Compte tenu de nos obligations de jachère imposée, il décide d’isoler une partie sur sa grande prairie et de la mettre en jachère. Comme c’est une zone rigoureusement interdite, ses fameuses blondes n’ont pas le droit de pâturer cette satanée jachère : il l’isole donc avec une clôture électrique. 

Tous les jours, il va voir ses vaches, le matin vers 7h30, comme le soir vers 21h. 

L’homme (mon ami) est quelque peu scrupuleux et sans doute trop honnête, voici pourquoi : un matin, catastrophe, ses blondes (au demeurant belles et bien en chair) avaient eu l’outrecuidance de casser la clôture électrique pour pâturer la fameuse zone interdite : la fichue jachère. Entre parenthèses, l’attitude de ces révolutionnaires de vaches qui n’obéissent pas aux directives bien pensées et intelligentes paraît bien logique malgré le regard bovin qui leur est en principe coutumier : il est somme toute normal que les vaches reluquent avec envie une prairie (« jachérisée ») toute neuve et abondante quand celle dans laquelle elles sont restées un certain temps est, à l’inverse, tondue comme une pelouse de stade olympique.

Bref, mon ami scrupuleux décide par honnêteté de prévenir la DDA (Direction Départementale de l’Agriculture), devenue depuis la DDT, du forfait inqualifiable de ses blondes. On lui répond qu’on lui enverra un contrôleur pour vérifier le « crime » abominablement bovin.

Le lendemain, efficacité administrative oblige, le contrôleur était sur les lieux du forfait. Bien entendu, mon ami avait préalablement remis toutes ses blondes dans le droit chemin, c’est à dire dans la prairie non « jachérisée ».

Dialogue du troisième type (accrochez-vous) :

Le contrôleur : « Bonjour Monsieur, on m’a prévenu que vos vaches sont passées dans la jachère. Combien de temps estimez-vous qu’elles y sont restées ? »

L’ami : « Ben, voyons, hier elles  étaient dans la partie prairie  à 9h (du soir), et le lendemain à 7h30, je les ai vues dans la jachère, donc au maximum, elles y sont restées une dizaine d’heures. »

Le contrôleur : « je vais vérifier. »

L’ami (quelque peu interloqué, on le serait à moins) : « comment ça, vous allez vérifier ? »

Le contrôleur (sortant de son petit attaché-case un formulaire administratif qui lui indique la fréquence journalière des « soulagements » des vaches) : « j’ai un document statistique sur la fréquence de bouses que les vaches sont censées produire par jour, il me suffit de connaître le nombre de vaches de votre troupeau. »

L’ami : « quoi, vous allez compter les bouses de vache dans la jachère ? »

Le contrôleur : « oui Monsieur, il suffit de faire une règle de 3, en connaissant le nombre de vaches et le nombre de bouses, je détermine à peu de choses près le temps qu’elles sont restées dans votre partie en jachère. »

L’ami : gloups (dans sa bulle : quel abruti j’ai été, mais c’est pas possible, je rêve), « bon ben allez-y. »

Le contrôleur : (après avoir compté toutes les bouses de la jachère qu’il divise par le nombre de vaches, et connaissant la fréquence journalière, en déduit) : « oui en effet, d’après mes calculs, vos vaches ont pâturé la jachère environ 9h, elles ont dû donc casser votre clôture vers 22h 30. »

Histoire tristement risible, mais elle mesure la déconnexion totale d’une réglementation uniforme, qui, incitant à l’hyperproduction intensive dans toutes les filières agricoles, en vient à pallier les effets pervers de cette frénésie productive par des obligations administratives aussi peu adaptées aux réalités du terrain.

A la prochaine rigolade « PACquienne » si le cœur vous en dit ! »

 

Christophe, agriculteur en Lot-et-Garonne

 


 

Dans le courant du prochain mois, nous publierons quatre séries de notes tentant de dessiner notre vision politique de l’écologie, émanant de nos adhérents, simples citoyens, professionnels des secteurs d’activité concernés ou bénévoles engagés dans des actions au service de l’environnement.

La première série introduit notre approche générale de l’écologie – ce que l’on pourrait appeler notre « vision » du sujet. Les textes sont à retrouver ici :
Edito : l’écologie est notre affaire.
L’écologie est la première des politiques.

La deuxième série s’attachera au thème de l’agriculture et de l’agroalimentaire : elle prônera de retrouver une agriculture qui soit « à hauteur d’hommes ». Les textes sont à retrouver ici:
Pour une agriculture à hauteur d’homme
Chronique de nos campagnes

La troisième série touchera à l’énergie, à ses enjeux et aux futurs développements des défis qui s’y rapportent. Les textes sont à retrouver ici:
Energie: panorama des enjeux écologiques
Energie solaire : se réapproprier l’écologie

Enfin, la dernière série aura trait à l’économie circulaire et à nos comportements en termes de consommation.

Nous espérons qu’en balayant ainsi largement ce sujet essentiel, nous puissions susciter autour de vous réflexions et… actions !

Pour une agriculture à hauteur d’homme

Le 20 juillet 2017, le gouvernement lançait les Etats Généraux de l’alimentation, rassemblant tous les acteurs de la chaîne alimentaire – de la production à la distribution – afin de repenser nos schémas d’alimentation. Mais le projet de loi issu de ces discussions reste très décevant. Six mois de tables rondes rassemblant près de 1000 participants ont accouché de mesurettes, loin des enjeux soulevés par tous les acteurs des filières : quelques mesures techniques (hausse du seuil de revente à perte de 10% limitant ainsi les pratiques de prix prédateurs, quota sur les volumes vendus en promotion), des incantations (construction inversée des offres de prix en partant du coût des matières premières, un plan Ambition Bio) et quelques promesses … tout cela à cadre constant.

 

Notre modèle agricole est devenu insoutenable.

 

Sous l’effet combiné de son productivisme et de l’ouverture récente à la mondialisation, il a essentiellement conduit à la concentration des exploitations agricoles et à l’intensification de la production, au détriment des rythmes naturels et des particularités locales.

Insoutenabilité économique d’abord, car plus de la moitié des exploitations françaises ont disparu en 25 ans seulement, et les défaillances d’exploitations agricoles ne font que s’accélérer en 2017. Les agriculteurs, constamment sommés de s’endetter pour s’équiper afin de maintenir leur rendement sous la pression des cours agricoles ouverts à tout vent, n’arrivent plus à vivre de leur travail. Corsetés par une réglementation touffue où s’accumulent formulaires et critères administratifs, ils perdent le sens de leur métier. En 2016, le revenu moyen des agriculteurs est compris entre 1 083 et 1 250 euros par mois, pour 54 heures travaillées par semaine en moyenne. De leur côté, l’industrie agroalimentaire et la distribution sont en panne de création de valeur : lancées dans une course folle aux prix bas, elles en viennent à dégrader la valeur nutritionnelle de nombreux aliments en utilisant quantité d’additifs pour des produits « marketing », déconnectés de la matière première agricole. Leurs marges ne cessent de s’effriter et les relais de développement sont au point mort dans l’ensemble des pays mûrs.

Insoutenabilité écologique et sanitaire ensuite, car l’hyperproduction dégrade durablement la biodiversité et la qualité de nos sols. 80% des insectes volatiles ont disparu en un siècle ; la teneur des sols en nutriments et humus a baissé d’un tiers depuis 1950 ; 40% des surfaces agricoles françaises présentent un risque de tassement irréversible. La surexploitation épuise les terres ; la mono-exploitation les appauvrit. On importe des produits qu’on produit déjà, sans intégrer dans leur prix le coût carbone de leur circulation mondiale. Les consommateurs sont en pleine crise de confiance : moins d’un français sur quatre considère que pour être certain de la qualité des produits alimentaires, il vaut mieux acheter une grande marque. Deux millions d’utilisateurs de l’application Yuka analysent la composition de leurs produits avant de les acheter. Les agriculteurs, eux, ne supportent plus d’être stigmatisés pour leur utilisation de produits phytosanitaires intrants ou pesticides ou pour les mauvais traitements animaliers des fermes industrielles.

 

Face à ces défis, l’agro-écologie

 

Notre modèle doit être repensé, en tenant compte des spécificités de chaque filière, afin de faire de l’agro-écologie notre véritable projet pour l’agriculture. L’agro-écologie, c’est une pratique agricole qui amplifie ce que les écosystèmes ont de naturel, plutôt que de les contraindre artificiellement. C’est la remise au goût du jour de techniques anciennes, moins intensives, plus diversifiées, plus respectueuses des rythmes naturels, financièrement sobres et tout aussi rentables en raison d’une approche qualitative différenciée – y compris à l’export, surtout en période de surproduction chronique.

Certaines filières ont déjà obtenu des résultats significatifs. Dans l’élevage, le plan Econtibio a permis de réduire l’exposition aux antibiotiques des animaux de 20 % sur quatre ans (2012-2015). Dans la filière des fruits et légumes, des gammes produites sans pesticides de synthèse, remplacés par des huiles essentiels ou… des insectes, sont disponibles. Dans le domaine des grandes cultures, l’agroforesterie, la diminution des labours pour préserver la qualité et la biodiversité des sols, l’ajout de légumineuses dans les rotations des céréales sont autant de pistes à approfondir. De nombreuses initiatives de permaculture fleurissent en France, révélées par les 220 fermes maraîchères du Tour des Fermes d’Avenir.

Dans ce cadre, l’éducation des consommateurs à ces initiatives est évidemment centrale. Il incombe aux collectivités territoriales, qui organisent la vie en marge des activités scolaires en primaire et au collège puis au lycée, de l’assurer. Un encadrement des publicités serait également à privilégier. Mais cette éducation ne suffit pas à déployer une vision politique de ce que pourrait être une agriculture à hauteur d’hommes.

 

Trois actions politiques en faveur de l’agro-écologie.

 

  1. Tout d’abord, l’Etat peut directement soutenir ce modèle agricole en orientant les recherches de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) vers le développement et la diffusion, via les chambres d’agricultures, de telles techniques. Il peut également aider à la valorisation de ces produits auprès des consommateurs en créant un label facilement identifiable regroupant l’ensemble des démarches éparses existantes (vergers raisonnés, Bleu Blanc Cœur…). Il peut favoriser, par la commande publique, l’approvisionnement de la restauration collective en aliments produits par l’agro-écologie. Il peut faire bénéficier les emplois dans les fermes agro-écologiques d’aides spécifiques (baisses de charge, services civiques), et assurer une formation à ces techniques de meilleure qualité dans les lycées agricoles. Enfin, il peut inciter fiscalement l’industrie et la grande distribution à conclure des contrats pluriannuels permettant aux agriculteurs engagés dans des périodes d’expérimentation ou de reconversion en agro-écologie de bénéficier d’une visibilité sur les perspectives d’écoulement de leurs produits.
  1. Ensuite, la politique agricole commune (PAC), outil de financement (près de 9 Mds€ pour la France, 408 Mds € pour l’Europe) utilisé depuis un demi-siècle au service d’un modèle productiviste, doit être repensée. La rémunération fixe de l’agriculteur à l’hectare et par animal qu’elle assure ne peut perdurer. En plus d’avoir figé les inégalités de revenus entre agriculteurs et entre territoires (les 60% plus petits exploitants se partageant seulement 20% des subventions), elle constitue une prime à l’étalement des exploitations pour lequel la production fortement industrialisée est seule rentable. Autre inconvénient : la PAC conditionne ses financements au respect d’une réglementation tatillonne, lourde, uniforme, unilatéralement fixée par les administrations européennes et décorrélée de la réalité que vit le monde agricole.  

Plutôt que sur une logique de guichet, le soutien public doit être redéployé en faveur de l’agro-écologie sur une base contractuelle entre l’agriculteur concerné et l’administration territoriale compétente. Une marge de manœuvre suffisante serait ainsi laissée au décideur local pour valoriser l’impact écologique et social des pratiques mises en place par les agriculteurs, selon les territoires et les filières. Plutôt que des critères réglementaires édictés par des administrations distantes, un tel rapprochement entre la PAC et les territoires permettrait également de mieux rémunérer les externalités positives constatées des nouveaux projets agricoles (préservation de la qualité de l’eau, reforestation, pollinisation…).

La protection de l’agriculteur contre les risques de marché, quant à elle, doit être assurée par traités commerciaux et par la mise en place de droits de douanes spécifiques permettant de lutter contre le dumping social et environnemental des pays tiers exportateurs vers l’UE. S’il est pertinent que de telles mesures soient prises au niveau de l’Union européenne, la France ne doit pas hésiter à peser sur ces négociations pour garantir son « exception agricole ». Un « Buy European Act » dans le domaine alimentaire devrait également être poussé. Quant au soutien financier des agriculteurs exposés aux cours mondiaux, il doit prendre le tournant d’une logique d’assurance plutôt que de subvention. Le soutien public serait versé par les administrations territoriales en fonction des évolutions constatées des prix sur les marchés et de leurs impacts réels sur la santé financière des agriculteurs concernés à l’issue d’un « exercice » agricole (défini par filières). A terme, il incomberait aux interprofessions réunissant producteurs, distributeurs et transformateurs de mutualiser elles-mêmes les risques de production et de marché, en en partageant plus équitablement les coûts. La récente proposition de défiscaliser l’épargne de précaution des agriculteurs va dans ce sens.

  1. Enfin, l’agro-écologie n’est pas qu’une technique : elle suppose un écosystème, fait de plus petites exploitations, à taille plus humaine, beaucoup plus diversifiées en termes de production, et forcément confrontées aux coûts d’échelle et aux difficultés logistiques pour l’approvisionnement des marchés. Ici, l’Etat pourrait favoriser la transmission de patrimoines agricoles au-dessous d’un certain seuil par filières, limiter l’étalement des exploitations en rémunérant davantage le premier hectare et en réglementant mieux l’attribution du foncier, inciter fiscalement à la création de coopératives moins sectorielles pour mutualiser les équipements entre producteurs, porter et soutenir l’ingénierie des projets ou encore faciliter la création de marchés locaux au plus proche des producteurs – par exemple en imposant un moratoire sur la construction de centres commerciaux ruraux ou périurbains et en privilégiant la reconstitution des ceintures maraîchères aux abords des villes moyennes, incitant les grands distributeurs à changer leur modèle, d’une distribution de masse à une distribution plus ciblée.

 

L’urgence écologique, la volonté des consommateurs, la santé économique du secteur agroalimentaire (premier secteur industriel français) et de la distribution (premier pourvoyeur privé en emploi) nous obligent à réussir cette transformation profonde attendue par tous les maillons de la chaîne alimentaire. Car, comme le disait Brillat-Savarin, « la destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent ».

 

Gaëtan de Lamberterie & PFS

 


 

Dans le courant du prochain mois, nous publierons quatre séries de notes tentant de dessiner notre vision politique de l’écologie, émanant de nos adhérents, simples citoyens, professionnels des secteurs d’activité concernés ou bénévoles engagés dans des actions au service de l’environnement.

La première série introduit notre approche générale de l’écologie – ce que l’on pourrait appeler notre « vision » du sujet. Les textes sont à retrouver ici :
Edito : l’écologie est notre affaire.
L’écologie est la première des politiques.

La deuxième série s’attachera au thème de l’agriculture et de l’agroalimentaire : elle prônera de retrouver une agriculture qui soit « à hauteur d’hommes ». Les textes sont à retrouver ici:
Pour une agriculture à hauteur d’homme
Chronique de nos campagnes

La troisième série touchera à l’énergie, à ses enjeux et aux futurs développements des défis qui s’y rapportent. Les textes sont à retrouver ici:
Energie: panorama des enjeux écologiques
Energie solaire : se réapproprier l’écologie

Enfin, la dernière série aura trait à l’économie circulaire et à nos comportements en termes de consommation.

Nous espérons qu’en balayant ainsi largement ce sujet essentiel, nous puissions susciter autour de vous réflexions et… actions !

L’écologie est la première des politiques

Protéger la planète, veiller sur la nature et sur l’admirable diversité des êtres qui la peuple, prendre soin de l’environnement dans lequel nous vivons : ces enjeux sont enfin aujourd’hui pleinement politiques, qui intéressent les gouvernements et les citoyens de tous les pays du monde. Et pourtant, parler de « dette écologique » ne suffit pas à dire un projet politique stricto sensu. A titre d’illustration, la Deep ecology qui aspire grosso modo à la disparition des hommes pour protéger la nature, n’a que peu à voir avec la sobriété heureuse des tenants de la décroissance, ou avec l’« écologie du jardinier » qui caractériserait une écologie « de droite » pour la philosophe Chantal Delsol. En matière d’écologie, les projets politiques ne sont pas uniformes : ils s’ancrent chacun sur des visions politiques et anthropologiques distinctes, voire antagonistes. Pluralité dans les fins, mais également dans les moyens de faire de l’écologie et de mobiliser les citoyens autour des enjeux environnementaux.

Ce qui caractérise Servir et notre sensibilité, c’est justement l’importance pour nous d’inscrire le présent dans le temps long de l’histoire humaine, elle-même lovée dans « l’histoire de la terre » – il faut mettre des guillemets, pour attirer l’attention des écologistes radicaux : car sans hommes, il n’y a pas d’histoire. Autrement dit, aucun thème n’embrasse avec autant de logique les trois piliers de la pensée qui nous anime. D’une part, l’écologie relève de l’enracinement ; ensuite d’un rapport étroit avec le réel ; enfin, de la responsabilité de chacun.

 

Pour une écologie de l’enracinement

 

Si la planète est un jardin, l’homme est un jardinier – et l’homme qui se déclare conservateur est génétiquement un jardiner, parce qu’historiquement, l’inquiétude écologique se déploie à partir du discours des conservateurs qui s’opposèrent à la folie positiviste du XIXème siècle – celle que l’on peut lire chez Auguste Comte comme chez Marx. En prenant la nature comme un donné à transformer, à assujettir à la puissance de l’imagination, le progrès – qui devait être technique, social et politique – a donc particulièrement abîmé l’environnement, justifiant la destruction temporaire de la terre par des argumentaires prométhéens tournés vers un grand soir, un futur meilleur.

Il serait trop long de relever les contradictions dans lesquelles s’enferrent les progressistes contemporains, qui aspirent en même temps à retrouver une harmonie avec la nature. La grande promesse progressiste, celle de libérer les hommes des injustes aléas de la nature par l’accomplissement technique de l’humanité, n’est pourtant plus audible à l’heure des catastrophes écologiques, dommages collatéraux du progrès technique.

Une écologie de l’enracinement prend la nature comme un donné dont la perfectibilité dépend de chaque espèce. Prudente, cette écologie ne cherchera pas à multiplier les expériences transgéniques, ne cherchera pas à transformer matériellement l’humanité, mais bien à tirer le meilleur de ce qui existe, aidée par la technique et non pas dirigée par elle. La technique n’est qu’un moyen : c’est à nous d’en prescrire les fins. Une écologie de l’enracinement prend donc appui sur un projet véritablement politique.

 

Pour une écologie réaliste

 

C’est ainsi que nous plaidons pour une écologie réaliste – réaliste et humaniste. La prise en otage de l’écologie par la postmodernité l’a associée à l’antispécisme, à la post-démocratie, au malthusianisme. Or ces syncrétismes malheureux ont placé l’écologie du côté des idéologies, alors même qu’il n’y a rien de plus réaliste : habiter une maison implique par exemple d’en gérer collectivement les déchets, de veiller à ce que tout reste propre…

Mais notre écologie se veut également humaniste, contre les discours qui verraient l’homme comme un prédateur menaçant une « Mère-Nature » originelle. Cette pensée fait fi de l’humanisme aux sources de notre culture, cet humanisme qui a fait de l’homme le protecteur de la nature qui lui a été confiée. A l’opposée de notre tradition, on trouve par exemple la Deep Ecology qui justifie jusqu’à l’instrumentalisation de la peur pourvu que la Planète « survive » à l’homme. Les Droits de l’Homme pourraient donc être tranquillement bafoués au nom d’une cause supérieure à l’homme-même – et la « haine de soi » des occidentaux acquérir ainsi une dimension universelle.

 

Pour une écologie de la responsabilité

 

Enfin, notre écologie relève aussi et d’abord de la responsabilité individuelle. Pour certains, la responsabilité ne peut être que collective – l’individu étant par essence le jouet de forces sur lesquels il n’a pas prise, que ce soit sa condition sociale ou son patrimoine génétique. Notre écologie ne peut agréer à cette déresponsabilisation, parce que notre anthropologie professe la capacité de chacun à agir sur son environnement, à agir avec et malgré ses « conditionnements » qui ne disent pas tout de lui. Alors, le respect et la protection de l’environnement devient l’affaire de tous et de chacun. La question ne saurait se résumer à dénoncer des groupes industriels, incarnant l’hydre capitaliste et donc causes de tous les maux de la terre.

Le grand enjeu consiste plutôt aujourd’hui à faire émerger une conscience écologique, qui réclame des pratiques, mais aussi et surtout une éducation. Et plus précisément, une éducation par laquelle chacun se sait responsable et agit comme tel. Nous voulons donc inscrire l’écologie dans une perspective large, celle de la prospérité, de la solidarité, de la croissance durable tout en faisant renaître dans le cœur de chaque Français le sentiment de l’intérêt collectif. En d’autres termes, nous voulons inscrire le souci écologique au cœur d’un projet politique en rupture avec une tradition écologique de posture. Parce que c’est d’abord le réel qui nous oblige.

 

V.R.

 


 

Dans le courant du prochain mois, nous publierons quatre séries de notes tentant de dessiner notre vision politique de l’écologie, émanant de nos adhérents, simples citoyens, professionnels des secteurs d’activité concernés ou bénévoles engagés dans des actions au service de l’environnement.

La première série introduit notre approche générale de l’écologie – ce que l’on pourrait appeler notre « vision » du sujet. Les textes sont à retrouver ici :
Edito : l’écologie est notre affaire.
L’écologie est la première des politiques.

La deuxième série s’attachera au thème de l’agriculture et de l’agroalimentaire : elle prônera de retrouver une agriculture qui soit « à hauteur d’hommes ». Les textes sont à retrouver ici:
Pour une agriculture à hauteur d’homme
Chronique de nos campagnes

La troisième série touchera à l’énergie, à ses enjeux et aux futurs développements des défis qui s’y rapportent. Les textes sont à retrouver ici:
Energie: panorama des enjeux écologiques
Energie solaire : se réapproprier l’écologie

Enfin, la dernière série aura trait à l’économie circulaire et à nos comportements en termes de consommation.

Nous espérons qu’en balayant ainsi largement ce sujet essentiel, nous puissions susciter autour de vous réflexions et… actions !

Edito : l’écologie est notre affaire

L’écologie est sur toutes les lèvres depuis plusieurs années, et c’est même l’un des domaines les plus « politiques » au sens noble du terme – car elle concerne au premier chef l’aménagement de cette demeure des hommes, de cette Cité qui nous rassemble. Les adhérents de Servir l’ont d’ailleurs massivement plébiscitée, lors de leur adhésion, comme un thème prioritaire parmi ceux que nous recensions.

 

« La protection de l’environnement se réduit bien souvent à n’être qu’un effet de mode »

 

Malgré tout, la démission de Nicolas Hulot ou encore la future nomination d’Emmanuel Macron comme « champion de la Terre » à l’occasion du prochain One Planet Summit démontre que la protection de l’environnement se réduit bien souvent à n’être qu’un effet de mode : agitation diplomatique autour de la COP21, dont les engagements ne sont jamais respectés – sauf par l’Europe, déjà très peu polluante, et au prix de sa compétitivité économique ; annonces évanescentes d’objectifs fixés dans la loi, déconnectés de tout réalisme ; et surtout, matraquage d’éléments de langage n’exprimant aucune vision politique, comme si le souci de notre nature ne relevait que du seul royaume de l’innovation et de la technique.

Qu’elle soit perçue comme un simple grain de sable dans la machine marchande dont il faut s’accommoder sans changer nos comportements, ou comme la nouvelle divinité culpabilisatrice prônant l’effacement de l’homme, l’écologie est la proie de toutes les idéologies.

Celles-ci ont en commun de postuler l’indépassable irresponsabilité des hommes, tour à tour considérés comme des adolescents jouisseurs ou des enfants dangereux. Elles reposent sur l’idée qu’il reviendrait à un système anonyme de pallier ses démissions – soit en lui permettant de continuer à consommer en toute inconscience, soit en l’éradiquant.

 

« L’écologie repose sur un principe de connaissance, de fréquentation et d’attachement à ce qui nous entoure immédiatement. »

 

Pour cette rentrée, Servir propose de décliner sa propre appréciation des choses : l’écologie repose sur un principe de connaissance, de fréquentation et d’attachement à ce qui nous entoure immédiatement. Seul cet enracinement permet le développement de « l’éthique de la responsabilité » dont parlait Hans Jonas. Avant les lois, avant les innovations, avant la technique, bref avant les polémiques sur le règne des moyens, il importe d’abord de s’interroger sur la finalité de notre action politique – et, ce faisant, de ramener l’écologie à hauteur d’hommes.

 

PFS

 


 

Dans le courant du prochain mois, nous publierons quatre séries de notes tentant de dessiner notre vision politique de l’écologie, émanant de nos adhérents, simples citoyens, professionnels des secteurs d’activité concernés ou bénévoles engagés dans des actions au service de l’environnement.

La première série introduit notre approche générale de l’écologie – ce que l’on pourrait appeler notre « vision » du sujet. Les textes sont à retrouver ici :
Edito : l’écologie est notre affaire.
L’écologie est la première des politiques.

La deuxième série s’attachera au thème de l’agriculture et de l’agroalimentaire : elle prônera de retrouver une agriculture qui soit « à hauteur d’hommes ». Les textes sont à retrouver ici:
Pour une agriculture à hauteur d’homme
Chronique de nos campagnes

La troisième série touchera à l’énergie, à ses enjeux et aux futurs développements des défis qui s’y rapportent. Les textes sont à retrouver ici:
Energie: panorama des enjeux écologiques
Energie solaire : se réapproprier l’écologie

Enfin, la dernière série aura trait à l’économie circulaire et à nos comportements en termes de consommation.

Nous espérons qu’en balayant ainsi largement ce sujet essentiel, nous puissions susciter autour de vous réflexions et… actions !

La recentralisation n'est pas la solution

La recentralisation n’est pas la solution

La première année du quinquennat a été inquiétante pour l’avenir des relations entre Etat et collectivités territoriales. Alors que les trois dernières années avaient été marquées par une baisse importante de leurs ressources et des réformes institutionnelles incessantes, les perspectives ne sont guère meilleures sous la nouvelle mandature. Fait inédit, les trois principales associations d’élus (Association des Maires de France, Association des Régions de France, Association des Départements de France) ont aujourd’hui décidé de boycotter la conférence nationale des territoires, alors que siègent à leur tête des élus qualifiés de « Macron-compatibles » dans les premiers mois du quinquennat. De peur sûrement que ce raout ne soit qu’un exercice de communication de plus, sans réelles avancées pour améliorer la gouvernance des territoires.

Le gouvernement a raté la voie de la confiance avec les collectivités. Dédaignant les politiques publiques qu’elles conduisent, méprisant le rôle désintéressé des élus qui sont, pour leur grande majorité, bénévoles ou peu rémunérés, et contournant leur légitimité électorale, le gouvernement ne semble considérer les collectivités territoriales que comme un centre de coûts, voire comme une variable d’ajustement de ses objectifs quinquennaux.

 

L’Etat n’a pas le monopole de l’intérêt général. Il est lui-même l’un des principaux moteurs de la dépense locale.

Pourtant, les collectivités mériteraient un autre sort. L’Etat n’a pas le monopole de l’intérêt général. Il est lui-même l’un des principaux moteurs de la dépense locale par le poids des charges qu’il transfère, ou qu’il engendre automatiquement en raison des décisions qu’il prend seul, comme l’augmentation des allocations individuelles de solidarité ou les nouvelles contraintes réglementaires qu’il fait peser sur la fonction publique.

Ignorées par un Etat qui raisonne bien trop souvent à courte vue, les collectivités sont pourtant capables d’incarner, elles aussi, l’intérêt général. Depuis plusieurs années, elles ont réalisé un effort important sur leurs dépenses et sur leur gestion. Elles doivent naturellement le poursuivre, mais il serait logique que cet effort s’applique à tous, Etat compris…

 

Quand 65% des Français se défient des institutions et de leurs responsables politiques, 67% apprécient leur maire.

De plus, les collectivités jouent un rôle civique fondamental : la commune reste l’unité institutionnelle de référence, condition du sentiment d’appartenance pour les citoyens, de la responsabilité pour les élus, et de la stabilité pour tous. En témoignent les taux de confiance inégalés de la population à l’égard de cet échelon local, jamais démentis dans les sondages annuels du Cevipof. Quand 65% des Français se défient des institutions et de leurs responsables politiques, 67% apprécient leur maire. La suppression de la taxe d’habitation illustre dramatiquement cette incompréhension. Ella va casser un peu plus le lien entre les citoyens et leurs collectivités. L’autonomie fiscale de ces collectivités est pourtant le meilleur moyen d’accroître leur responsabilité devant le peuple, car les citoyens constatent très directement les conséquences de la gestion municipale sur leur feuille d’impôt.

 

« La centralisation, c’est l’apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités »

Il est de l’intérêt de tous que des collectivités dynamiques développent l’environnement dans lequel notre pays pourra prospérer. Ce sont elles qui permettront aux Français de reprendre conscience de leurs devoirs de citoyens, de leur intégration au sein d’une communauté politique. Pour ce faire, les collectivités doivent disposer des moyens pour mener les politiques publiques ancrées dans les territoires, qui, si elles sont décidées au plus proche des citoyens, suscitent une large adhésion. Il est urgent d’entendre la voix des territoires, avant que la froideur administrative n’écrase tout sur son passage, ne laissant aux élus locaux qu’un rôle de représentation sans aucun levier pour améliorer le sort de leurs concitoyens. Ils ont raison de refuser le sort de simples marionnettes du pouvoir central. N’oublions pas le mot de Lammenais : « la centralisation, c’est l’apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités. »

 

Thibault Hennion

Olivier Bouet

François-Xavier Bellamy

Maxime Morand